[25/08-04] Elements de linguistique comparée [terminé]

En presque deux semaines, ils avaient réussi à se reconnecter, et un peu plus (et les collègues avaient poussé un silencieux soupir de soulagement!) de manière à ce que leurs rencontres soient beaucoup plus simples, moins lourdes, moins gênantes... et qu'ils se donnent leurs rapports et idées en main propres au lieu d'utiliser ce brave Zelenka comme coursier!

D'ailleurs, en parlant de rapports et idées, ils étaient toujours à chercher comment toute la cité fonctionnait, en analysant les cristaux, entre autres. Et Tim aimait bien jongler entre la physique et la linguistique, essayant d'entretenir son Tchèque niveau débutant avec Zelenka, ravi de voir quelques étrangers s'intéresser à sa langue, réputée pour être assez difficile, plutôt qu'à une langue beaucoup plus commune ici comme l'espagnol. Et Tim étant ce qu'il était, il apprenait aussi l'ancien avec ceux qui connaissaient la langue ou du moins la comprenaient, comme Lory et Aaron.

C'était quand même chouette d'être ici, non?

Il frappa à la porte du bureau de Mallory, un après-midi, avec une pile de livres sous le bras. Linguistique appliquée et tout le toutim.

- Salut! Oh, dis, j'ai commencé à m'amuser à faire un nouveau puzzle. Tu sais que des linguistes, sur terre, essaient de reconstituer l'Indo-Européen primitif à partir des langues européennes... et je me suis dit, vu qu'il y a des bases d'ancien, pour quoi ne pas faire l'effet inverse et chercher tous les liens entre les langues terrestres et l'ancien et voir si ça ne pourrait pas être encore plus méta ou... enfin tu vois.

Bref, voir si l'ancien pouvait être un précurseur des langues terriennes. Rien que ça. Et il nommait ça "un puzzle." Ben oui...
Il regardait Lory qui avait le nez dans un livre... il s'appuya contre le montant de la porte.

*Bon sang qu'elle est belle...* Mais passons! Il lui souriait, bien évidemment.

- Oh bah non, pas maintenant, nous sommes assez occupés comme ça! J'ai décidé de faire ça sur mon temps libre, si ça te dit.

Et trouver les liens n'était vraiment pas le truc le plus urgent, même si ça pourrait s'avérer utile!
Il entra dans la pièce et posa ses livres sur une chaise. Il regarda la tablette qu'ils avaient découvert il y avait peu.

- Ha oui, ben ça n'a pas l'air évident, tiens! Je fais une pause café, là. Là, avec les gars, on travaille sur différentes associations de cristaux pour obtenir des résultats plus intéressants d'un point de vue énergétique, c'est un peu comme rechercher l'ampoule électrique la plus écologique.

Il se pencha pour récupérer ses livres, après tout, elle venait de lui dire qu'elle était occupée, non?

- Je vais te laisser... à moins que je ne sois d'une aide quelconque... ou à moins que tu ne veuilles faire une petite pause café. Ou thé, hein.

Et il récupéra ses livres.

Je poussais la tablette sur le côté, laissais échapper un sorte de grognement de rage et claquais ma tête sur le bureau. Je gardais le front sur le bureau et réfléchis un court instant. Je me redressais et lui dis:
" Bein voyons! Tu viens me voir avec du travail et parce que je suis pas disponible maintenant pour ça, tu te sauves? C'est sympa! "
J'eus un petit rire situé entre la nervosité et la taquinerie. Je désignais la tablette à Tim en la pointant du doigt.
" Tu ne voudrais pas apporter un regard extérieur à ce dialecte? Je suis dessus depuis quelques jours et je pense que j'y suis peut-être trop... qui sait? Je ne vois plus ce qu'il y a à voir peut-être... "
La tablette étant un peu endommagée, il manquait des lettres à certains mots. La tâche n'était donc pas aisé... Il fallait comprendre tout en reconstituant les mots.
" Puisque tu aimes tellement les puzzles... " ajoutais-je alors.

Mais qu'est-ce qu'elle lui faisait là? Il la regarda, complètement interloqué. C'était bien la première fois qu'elle lui sortait un truc pareil... et de la sorte! Il haussa un sourcil, marque de fabrique.

- Ben...

En fait, elle lui avait complètement coupé la chique! Elle se mit à rire et il se détendit un peu, puis elle lui proposa de l'aider. Après tout, il était vrai qu'il était un "œil" extérieur, étant physicien et pas linguiste, et que de toute manière, les puzzle et truc apparemment incompatibles mais compatibles quand même, c'était son rayon.

- OK!

Puis il aimait bien travailler pendant ses pauses café... pauses qui n'avaient de pause que le nom, d'ailleurs!
Il posa les livres sur une étagère, où il trouva de la place, prit la chaise et s'installa pas loin de Lory. Oui, il ne lui en fallait pas plus pour qu'il accepte. Elle n'avait qu'à demander "tiens tu m'aides à résoudre un truc impossible?" pour qu'il dise oui avec un grand sourire. Tout était bon pour passer plus de temps avec elle.

Et puis, ce n'était pas pour rien non plus. En déchiffrant cette tablette, ils résoudraient peut-être un des plus grands mystères de la cité ou de l'univers!

- Booooon, alors... ha oui... c'est...

Il fronça les sourcils et se mit à lire les premières lignes. Il avait progressé en ancien, pas assez pour lire couramment mais assez pour voir que ce n'était pas de l'ancien "normal", bref, de l'ancien de manuel scolaire pour ainsi dire!

- Hum... c'est quoi? Du vernaculaire?

Après tout, les tablettes, sur terre, étaient remplies de vernaculaire...

Elle se plaça légèrement derrière, légèrement à côté... en fait, particulièrement bien placée pour qu'il ait vue sur... *PENDENTIF!* et pas ailleurs, n'est-ce pas. Il resta calme. C'est qu'elle semblait avoir un corps tout à fait... *N'Y PENSE PAS!* Bon, trop tard, il y pensait, et son imagination délirante n'avait pas besoin de stimulation supplémentaire...

Il se concentra donc sur ce qu'elle disait...

- Oh... on peut essayer de scanner le tout. On devrait avoir un bon aperçu des aspérités et voir ce qui est d'origine et ce qui n'est qu'érosion...

Il regarda le texte dans son ensemble, c'est à dire la forme que ça avait sur la tablette. L'alphabet ancien était particulier mais...

- C'est moi où on dirait que les anciens cherchaient à faire des rimes, là?

Il était certainement en train de délirer, de chercher une échappatoire aux adorables collines qu'il avait presque sous le nez. Oui, oui, voilà. Des rimes. Parce qu'il se sentait d'humeur poète, c'est ça? Parce qu'il voulait lui déclamer des vers lyriques façon Victor Hugo ou Joachim du Bellay? Des pensées frivoles, des Sonnets à la Shakespeare...

Il soupira et se mit à rire.

- Oublie, c'est... Charmant...

Mais "charmant" ne référait pas du tout, mais alors PAS DU TOUT à ce qu'il y avait sur la tablette...
*MAIS RHA MAIS HEU!*

- Je pense que ça devrait être possible... suffit de demander aux labos... là on planche sur les cristaux, alors ça ne devrait pas trop gêner...

Il commençait à être mal à l'aise... Lory ne semblait pas se rendre compte de l'effet qu'elle pouvait avoir sur les autres... en particulier sur lui. Elle avait une expression absolument adorable et il avait envie de l'embrasser, mais ça, ce n'était pas un scoop.

Elle confirma qu'il s'agissait bien de rimes et expliqua que c'était dédié à une déesse ou quelque chose comme... Il pensa, naïvement, qu'il aurait pu écrire une ôde à Lory si l'idée lui était venue... Ha, quelle idée!

Elle se décala et il en fut soulagé. Il se leva et s'éloigna du bureau, juste un peu pour pas que ça semble étrange. Et elle lui demanda ce qu'il avait voulu dire par charmant? Hé bien, la vue sur sa vallée, pardi! Mais il n'allait pas le dire. Il chercha autre chose, et elle avait un de ces sourires...
Un sourire, franc, naturel, qu'il n'avait pas vu depuis... depuis avant la mission, en fait. Tim en était tout chaviré. Homme à la mer!

Aussi lâcha-t-il, tout naturellement:

- Oh, ton sourire est charmant...

Et de ce fait, il réalisa qu'elle comprendrait certainement qu'il n'avait pas du tout parlé du poème écrit sur la tablette, mais d'elle.

- Heu voilà, bon, on va aller scanner ça, hein!

Une fois revenus dans le bureau de Lory, cette dernière expliqua à Tim ce qu'elle comprenait du texte. Donc, si c'était un homme du peuple qui l'avait écrit, c'était peut-être bien une forme plus populaire d'une langue. Mais surtout, le contenu le troubla, parce qu'il avait l'impression de presque vivre la même chose.

- Ouais... c'est triste...

Il soupira... il n'allait quand même pas écrire ses mémoires, une ode à Lory et se jeter dans l'océan par dépit... mais il pouvait bien imaginer qu'on ait pu le faire.

- L'amour à sens unique peut être un véritable poison, surtout quand on ne parvient pas à s'en défaire. En général, le temps passe, puis voilà. Mais parfois...

Il eut soudainement envie de quitter la pièce, pour ne pas en parler à Lory. Elle ne semblait pas réaliser le calvaire que c'était. Il était là, éperdument amoureux, à attendre... attendre il ne savait quoi. Une réaction, une décision, une parole... Mais il n'en fit rien, partir n'aurait fait que la mettre mal à l'aise. Il préférait être le seul à se manger le mur.

N'empêche que... Il fallait quand même faire passer le message, non? Il n'allait pas rester trois ans dans cet état!

- C'est comme quand les gens ne savent pas. On attend, on se demande si un jour... le temps passe et on tombe sur des tablettes qui nous renvoient dans la figure notre propre réalité.

Il s'assit sur la chaise et regarda la tablette criminelle. Son effet miroir avait un petit côté assassin...

Et voilà, tout s'effondrait, par sa faute! *JE SUIS UN IMBÉCILE!* Il se passa les mains dans les cheveux et soupira... ce n'était absolument pas de cette manière qu'il aurait aimé le dire. La gaffe énorme.
Il savait qu'elle tenait à lui, ils ne seraient pas là à parler de ça, sinon.

Mais les paroles qui suivirent eurent presque l'effet de balles. Un révolver, six coups. Touché.

- Ce n'est pas tellement de l'impatience... c'est juste... ne pas savoir. C'est une zone de flou, c'est dur à vivre. Je n'ai pas l'habitude, je sais pas où donner de la tête, ça me rend dingue.

Et le pire était peut-être le fait d'avoir mentionné Evan. Comme ça, c'était clair, il s'était déclaré aussi. Voilà. Et si elle était dans cet état là, c'était qu'elle aimait Evan. Et si elle était avec lui, c'était parce qu'Evan n'était plus là.
Disons que son cerveau prenait un point de vue défaitiste et déformait tout ce qu'il pouvait comprendre autrement.

Il serra la mâchoire pour ne pas répondre trop vite et la blesser encore plus. Il aurait dû prévoir le gilet pare-balles dès leur rencontre.
Remettons les choses dans l'ordre...

- Ce n'est pas une question d'être humain ou pas. Des gens peuvent passer leur vie à ne jamais déclarer leur flamme à la femme de leur vie et tant pis pour eux, je ne suis pas de ceux là. D'autres peuvent aller trop vite, j'en sais rien. Je n'ai pas envie d'attendre trente ans avant de t'envoyer des fleurs alors que je sais ce que je ressens et j'ai besoin de l'exprimer. Non, tu ne m'ignores pas et ce n'est pas vraiment ce que j'ai voulu dire. Je suis désolé.

Il approchait du but... de la question qui lui brûlait les lèvres.

- Ce qui me pose problème, c'est cette zone de flou, ne pas savoir. Et je n'ai pas envie d'être un remplaçant pour un disparu... Cette situation est vraiment insupportable, je dois faire comment? Comme s'il ne se passait rien? Comme si je ne voyais pas notre attirance, comme si je ne voyais pas qu'entre Evan et toi, il y a quelque chose? Je ne sais pas quoi faire. Si j'avance un peu, j'aurai l'impression d'être indélicat, si je ne fais rien, j'aurai l'impression de pas faire assez, et comme tu sais ce que je ressens, à chaque fois que je fais quelque chose, je me demande si tu ne trouves pas ça déplacé... souvent j'aimerais pouvoir fermer ma gueule au lieu de dire ce que je pense, comme ça...

Il secoua la tête. Moment de silence. Evan et lui étaient très différents. Evan avait probablement développé des sentiments pour Lory au fur et à mesure, alors que pour Tim... ça lui était tout simplement tombé dessus sans crier gare et chaque rencontre il s'émerveillait un peu plus. Et ils avaient chacun leur manière de gérer leurs émotions et sentiments, chacun leur manière de les exprimer ou de ne pas les exprimer.

- Je suis désolé, Lory... sincèrement. Tu trouves ça peut-être rapide de dire à une femme qu'on est fou d'elle au bout d'un mois et demi. Moi je trouve ça dingue de ne pas le dire si c'est le cas. J'essaie vraiment de faire les choses correctement, mais je ne sais plus quoi faire. Et je crois que j'aurais du me taire, encore une fois... et peut-être même ne pas frapper à ta porte aujourd'hui.

Il rebaissa la tête. Il avait l'impression d'être au milieu d'une belle tempête... Il était en train de tout détruire, sans le vouloir...

Elle n'avait pas tort, mais c'était son point de vue. Et lui ne savait pas tellement comment considérer les choses vu que c'était la première fois qu'il se trouvait dans une telle situation. C'était même lui, plus ou moins, qui avait été dans la peau de l'être lointain, disparu, qu'on n'était pas certain de revoir et qu'au final on n'avait pas attendu. Même s'il ne regrettait pas cette relation, la manière dont elle s'était terminée avait été douloureuse. Mais être là, dans ces circonstances, il ne savait plus. Il ne savait plus où il se situait, pour elle. Certes, elle tenait à lui... et leur baiser avait été très... mais elle ne semblait pas capable de lui dire si elle l'aimait ou s'il n'était qu'un ami. Et c'était ce qu'il aurait voulu savoir.

Il la laissa parler, il en avait assez dit et tout ce qu'il pourrait ajouter pourrait ne rien arranger. Oui, il voulait qu'elle l'aime, c'était normal, vu qu'il était quand même amoureux d'elle... Et apparemment, elle ne pouvait donner ça à personne, pas pour le moment en tout cas. Elle avait besoin de temps. Mais combien de temps? Du temps pour quoi, pour lui dire que finalement, de toute manière, elle n'était pas amoureuse de lui? Ce sentiment d'incertitude l'angoissait. Il se transformait en sentiment d'insécurité. Il ne parvenait pas à l'expliquer, elle ne semblait pas le comprendre.

Il acquiesça doucement. Il n'avait jamais couru après une fille. Pas comme ça. Ses histoires avaient été incroyablement simples, et elles s'étaient presque terminées toutes seules, parce qu'il était dans son monde à penser à des trucs bizarres, bricoler tout ce qu'il trouvait, et se rebeller contre l'univers et sa banlieue. Il n'y avait eu que sa deuxième histoire, la plus longue, qui s'était finie de manière compliquée, assez triste, après trois ans, juste avant de partir pour l'université. Il n'avait pas l'habitude de cette situation.

Il n'avait de ce fait pas l'habitude d'attendre, de rester dans son coin jusqu'à ce que ça passe. Il avait toujours provoqué les choses, à commencé par la colère de ses parents, bien entendu. Et aujourd'hui, il était comme un gosse qu'on réprimandait parce qu'il allait trop vite et n'écoutait pas ce qu'on lui disait. Un sale gosse obstiné. Tim tout craché, d'une certaine manière.

Il regarda Lory, il était troublé. Il ne savait plus du tout où il en était, cette conversation l'avait poussé loin dans ses retranchements, et lui faisait penser à des moments de sa vie, de son enfance, auxquels il n'y pensait habituellement pas. Des choses banales, des trucs d'enfance, quoi.
Lory était troublée, elle aussi, mal à l'aise. Il avait été trop loin, et sans le vouloir, il avait été blessant. Elle lui demanda de la laisser.

Attendre oui... Il prit sur lui, il avait une boule au fond de la gorge, ses doigts tremblaient légèrement. Oui, il était temps de la laisser et il était aussi temps de s'isoler et d'attendre que son orage intérieur passe...

- Ok...

Il ne savait pas quoi dire d'autre, ni quoi faire. Il avait cassé pas mal de choses en l'espace d'une dizaine de minutes, grand maximum. Alors il quitta la pièce...